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Voyage au fond des lacs

28 juillet 2017

La fonte de la glace des lacs arctiques pourrait accélérer le réchauffement climatique. Les changements climatiques sont en voie de modifier les conditions d’englacement des lacs peu profonds de l’Arctique, ce qui pourrait favoriser les espèces microbiennes produisant des gaz à effet de serre et, par conséquent, accélérer le réchauffement du globe. Voilà ce que suggère une étude publiée aujourd’hui dans la revue npj Biofilms and Microbiomes par des chercheurs de l’Université Laval et de l’Institut national de la recherche scientifique.

Les auteurs de l’étude arrivent à cette conclusion après avoir analysé la composition des communautés aquatiques du lac Ward Hunt situé sur l’île du même nom, dans l’extrême nord de l’Arctique canadien, à moins de 800 km du pôle Nord. «Il s’agit du lac le plus nordique d’Amérique, souligne le responsable de l’étude, Warwick Vincent, professeur au Département de biologie et chercheur au Centre d’études nordiques. En raison de sa localisation, ce lac nous permet de détecter dès maintenant les changements qui risquent d’affecter les autres lacs des régions arctiques dans quelques années.»

Une étude réalisée antérieurement par l’équipe du professeur Vincent avait révélé qu’entre 1953 et 2003, la partie centrale du lac Ward Hunt était recouverte en permanence par une couche de glace d’environ 4 mètres d’épaisseur. «Nous pensions que la glace se rendait jusqu’au fond et qu’aucune forme de vie ne pouvait s’y développer, rappelle le chercheur. Nos travaux portaient donc exclusivement sur la zone située près de la rive, là où le couvert de glace disparaît pendant quelques semaines chaque été. Dans cette partie du plan d’eau, le fond est couvert d’un épais tapis de microorganismes qui jouent un rôle essentiel dans la productivité biologique de cet écosystème.»

À partir de 2008, les chercheurs ont toutefois constaté que le couvert de glace diminuait rapidement sur le lac. En 2013, à l’aide d’un instrument radar, leurs collaborateurs du CEN à l’Université de Montréal ont découvert qu’il y avait de l’eau sous la glace, mais pas au centre du lac. L’année suivante, l’équipe de l’Université Laval décide d’aller au fond des choses. «Nous avons foré la couche de glace à un endroit où le radar indiquait la présence d’eau et nous avons fait descendre une caméra GoPro jusqu’au fond, à 10 mètres de profondeur, raconte Alexander Culley, coresponsable du projet et professeur au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique. Il a fallu patienter jusqu’à notre retour au camp quelques heures plus tard pour visualiser les images sur un ordinateur. C’est à ce moment que nous avons eu la surprise de constater que le fond de la partie centrale du lac regorgeait de vie. Totalement le contraire de ce que nous pensions au départ!»

Selon les chercheurs, ces communautés vivent sous le couvert de glace depuis très longtemps, mais elles étaient littéralement passées sous leur radar. Grâce à des techniques de séquençage génétique, ils ont pu identifier les espèces qui habitent ce milieu comptant parmi les plus inhospitaliers de la planète, notamment en raison de l’absence quasi totale de lumière pendant l’hiver. Étonnamment, les chercheurs ont découvert que le centre du lac contient au-delà de 1 500 espèces, soit plus que la zone littorale. Il s’agit principalement de bactéries, mais on y trouve aussi des eucaryotes microbiens de même que plusieurs dizaines d’espèces d’archées. Ces dernières, absentes de la zone littorale, produisent du méthane, l’un des principaux gaz à effet de serre.

Cette plus grande diversité d’espèces pourrait s’expliquer par les conditions physicochimiques changeantes de cet environnement, avance le professeur Vincent. En effet, l’eau au centre du lac est bien oxygénée pendant l’été, mais elle est anoxique pendant l’hiver, de sorte que des espèces aérobiques et anaérobiques y coexistent. «L’Arctique compte des millions de lacs et d’étangs peu profonds comme le lac Ward Hunt, rappelle-t-il. Le réchauffement climatique pourrait faire en sorte que de plus en plus de ces plans d’eau ne gèleront pas jusqu’au fond pendant l’hiver. L’activité biologique hivernale qui se maintiendra en absence de lumière créera des conditions anoxiques favorisant le développement d’espèces anaérobiques productrices de gaz à effet de serre. Les prévisions des modèles climatiques actuels ne tiennent pas compte de cette possibilité. Si ce scénario se concrétisait, le réchauffement climatique pourrait donc être plus rapide que prévu.»

L’étude parue dans npj Biofilms and Microbiomes est signée par Vani Mohit, Alexander Culley, Connie Lovejoy, Frédéric Bouchard et Warwick Vincent. Ces chercheurs sont rattachés au Département de biologie, au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique, au Centre d’études nordiques, à l’Unité mixte internationale Takuvik, à l’Institut de biologie intégrative et des systèmes et à l’Institut national de la recherche scientifique. Leurs travaux s’inscrivent dans le chantier thématique «Microbiomes: sentinelles de l’environnement et de la santé dans le Nord» du programme de recherche Sentinelle Nord, financé par Apogée Canada. Les chercheurs ont d’ailleurs obtenu du financement de Sentinelle Nord grâce auquel ils seront en mesure de poursuivre leurs travaux dans ce domaine.

Source - Jean Hamann, journal Le Fil

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