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Comprendre la fonte du pergélisol pour s’y adapter

25 septembre 2023

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche: enjeux climatiques du journal Le Devoir

« Le nord du Canada s’est réchauffé et continuera de se réchauffer à un rythme plus de deux fois supérieur au rythme mondial », apprenions-nous en 2019 dans un rapport scientifique d’Environnement Canada. On peut de plus s’attendre à ce que de « grandes superficies » de pergélisol aient fondu d’ici 2050.

Dans le nord du pays, on ne se demande plus si les changements climatiques sont réels : ses effets sont visibles tous les jours, sur les infrastructures et les paysages. « On se demande surtout comment on va s’adapter », explique Pascale Roy-Léveillée, professeure au Département de géographie de l’Université Laval. La chercheuse s’est donnée pour mission de documenter cette nouvelle réalité pour permettre à ceux qui la subiront de mieux se préparer à l’avenir.

Paysage bouleversé
Le pergélisol, qui recouvre près de la moitié de la surface du Canada, contient notamment de grandes quantités de méthane, un puissant gaz à effet de serre, qui seront relâchées dans l’atmosphère en dégelant. Il soutient aussi les infrastructures du Nord, que ce soit les bâtiments ou les voies de transport, comme les routes et les chemins de fer. « Au tournant du XXe siècle, quand on a construit les voies ferroviaires, on croyait que le pergélisol était aussi solide que le roc », rappelle Pascale Roy-Léveillée.

Plus tout à fait. Déjà, la fonte de ce sol gelé mène à l’affaissement de certaines surfaces et bouleverse les paysages. La toundra, habituellement tapissée de mousses et de lichen, se recouvre lentement d’arbres et d’arbustes, enhardis par le dégel du sol qui leur permet d’y plonger des racines profondes. « Les gens s’enfargent dedans », constate la chercheuse. Cette nouvelle végétation devient aussi un obstacle pour les déplacements en motoneige.

Au-delà de la végétation, c’est tout le paysage qui se modifie, parfois abruptement. Un exemple concret : les lacs. « On peut voir que les lacs grandissent, ce qui est un phénomène tout à fait normal, mais qui est accéléré aujourd’hui », raconte celle qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche en partenariat sur le pergélisol au Nunavik, dont les activités s’inscrivent dans le programme Sentinelle Nord. « Une fois trop plein, le lac va attraper une rivière ou un dénivelé et se videra subitement, en moins de 48 ou 72 heures. » Résultat : les locaux habitués de pêcher dans le plan d’eau arriveront, leur canne à la main, pour trouver une dépression asséchée.

Pour une population qui dépend de la chasse, de la pêche et de la cueillette pour la vaste majorité de son alimentation, un tel changement peut être désastreux.

Infrastructures instables
Les infrastructures locales souffrent aussi de la soudaine malléabilité du pergélisol. Pour prévenir les catastrophes, Pascale Roy-Léveillée et ses collègues sont allés mesurer les sols sur lesquels reposent les bâtiments des localités du Nunavik. Sont-ils composés de glace ou de roc ? La prochaine étape sera de décider quoi faire avec les bâtisses les plus à risque. « Au Nunavut, on prévoit des constructions sur pieux », indique la chercheuse, qui estime que ce type d’installation se multipliera au nord du 55e parallèle.

Des voies de transport essentielles, comme le chemin de fer de la baie d’Hudson, qui relie le nord et le sud du Manitoba, sont aussi menacées par le sol instable. Pascale Roy-Léveillée participe justement à un projet, en collaboration avec des géomorphologues, des géocryologues et des ingénieurs, qui permettra de documenter le pergélisol tout au long des rails et de dresser un portrait des risques actuels et futurs.

Soutenir l’adaptation
« Nous, dans le Sud, on se demande souvent quels sont les effets du réchauffement sur les infrastructures dans le Nord, parce que nous sommes une population urbaine qui vit dans un milieu très bâti, relève Pascale Roy-Léveillée. Mais dans le Nord, la proportion du paysage bâti est très faible. »

Bien consciente de ses biais, la chercheuse préfère demander aux communautés du Nord quels sont leurs besoins pour décider de ses prochains sujets d’étude, plutôt que de se fier à son instinct. Quelles sont leurs préoccupations, leurs questions ? « On ne peut pas s’adapter à un risque qu’on ne comprend pas bien », résume-t-elle. Selon les demandes, elle documentera les niveaux de mercure dans les sols de la plaine d’Old Crow, connue localement comme Van Tat, au Yukon, ou le risque de glissement de terrain à Salluit, dans le Nunavik.

« Parfois, les nouvelles sont meilleures que prévu, se réjouit la professeure. C’est important de donner les bonnes nouvelles quand il y en a. Ça permet de réduire l’anxiété des gens du Nord qui font face à ces changements sur leur territoire. Parce que leur territoire, c’est eux. »

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